Haïti : Les malades mentaux pris en dérision
L’homme est un être complexe et à la fois unique. Esprit et corps. C’est sous ce dualisme que consiste l’appréhension de l’être. Cette dialectique est à la base de notre comportement et donc détermine notre vie dans le milieu social. Lorsque le fonctionnement de l’un ou l’autre prend le dessus, est-il possible de perdre notre état d’homme ? Que peut-on faire pour préserver, récupérer, réhabiliter l’homme en situation de le perdre ?
Il est accablant, vraiment c’est le mot, de constater la manière dont beaucoup d’entre nous méprise des familles, amis ou encore des gens que l’on a connu, qui à un moment de leur vécu n’ont pas su par quel processus sortir d’un traumatisme ; n‘ont pas eu le support nécessaire pour passer outre d’une période marquée par de grande tension psychologique. Notre vie en est jonchée, donc nous sommes tous à risque ! Nous risquons tous un jour vivre une crise d’angoisse, une situation anxieuse persistante, une bouffée délirante, un état de stress post-traumatique et un tas d’autres états pathologiques que le rapport avec soi et à l’autre produit dans la société.
Notre Haïti d’aujourd’hui stigmatise, discrimine ceux que l’on appelle couramment et ignoblement les « fous », ils ne sont pas pris en charge considérablement ; ce qui explique le fait qu’ils ne se récupèrent presque jamais. Il existe seulement deux centres psychiatriques publics très mal équipés pour tout le pays et environ huit cliniques privés. La majorité d’entre eux se trouvent dans le département de l’ouest. Les personnes dont les causes de leur pathologie sont attribuées à des maléfices d’un « sorcier », et que par maintes tentatives de traitement chez le houngan n’ont pas pu se récupérer ; ceux, par faute de moyens économiques d’informations ou encore de structures d’accueil ne peuvent pas pratiquer un internement sont retrouvées gambadant à travers les rues dans un piteux état. Habillés souvent d’haillons, les cheveux décoiffés, le regard complètement vidé, certaines fois à moitié nus. En bref, en situation de sous-homme.
Voilà comment on rencontre souvent ces gens qui sont doublement victimes d’une société qui, à fois produit les mécanismes de troubles par sa structure même et d’un autre coté ne fait rien comme acte thérapeutique de sorte que ces gens-là puisse fonctionner normalement. L’ethnopsychiatre Georges Devereux l’a si bien illustré en avançant que le pathologique est culturel.
Sur ce point, et sur bien d’autres encore, notre société est tellement deshumanisante – suicidaire même – qu’elle provoque l’aggravement de leur pathologie mentale. On a l’habitude d’entendre dire qu’à Jacmel par exemple, si vous avez quelqu’un qui est en plein crise psychologique, vous devriez l’enchaîner pour qu’il ne sorte pas dans la rue ; sinon vous allez le perdre. Cette allégation trouve tout son sens, dans le comportement moqueur et antipathique de certains dans la ville à l’égard des malades mentaux. Quelques minutes passées en compagnie d’eux sont prises comme une parodie, une ambiance de moquerie collective, un moment pour rire à gorge déployé des contenus de leurs hallucinations et de crises délirantes, de l’incohérence qui émane de leur discours, ou encore de leur fuite de la réalité, de leur mégalomanie. Certains ont tendance parfois à leur donner de l’argent pour stimuler leur engouement ou pour s’offrir leur petit service.
Pourtant ces personnes-là sont des humains qui méritent le soutien de tous, allant des parents aux autorités concernées. C’est sinistre de voir à quel point l’humanité est périssable avant même la mort. La psychologie peut bien aider à cet effet. Une psychologie qui tient compte des croyances culturelles de la population, c’est l’enjeu déterminant d’une cure chez nous, la culture. Pour les aider à se réhabiliter, Il nous faut la mobilisation de tout un arsenal de professionnels impliquant psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux etc. Ce qui produira un changement de comportement de toute la société vis-à-vis des malades mentaux.
Peterson Anténor
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