La mer et moi : un vif paradoxe
De loin, l’horizon se dessine dans cette confluence bleutée. Mer et ciel se confondent. En s’approchant, on constate le tour perceptif que nous joue la vision avec la complaisance de cette magie naturelle. Au creux de ses abysses, la vie se conserve. Et se perd aussi.
Cette immense étendue d’eau salée qui nous entoure de partout m’a toujours intrigué depuis l’enfance. Je n’ai jamais compris comment elle pouvait être si vaste et salée à la fois. J’ai beau croire à des histoires venues çà et là, différentes les unes des autres, les unes contredisant les autres. Mais tous nourrissant mon imagination.
Je suis né dans une ville côtière, cohabitant avec la mer. Les souvenirs me viennent encore de l’époque où la mer vrombissait au petit matin et aussi chaque après-midi sous l’effet de la cadence naturelle. Depuis quelques années, ce chant naturel s’est estompé sans qu’on sache trop pourquoi. Comme beaucoup de choses d’ailleurs qui ont changé dans cette ville. Jacmel n’est plus la même.
Enfant, se baigner à la mer était notre grand interdit. La plupart des parents haïtiens adoptaient ce point de vue. C’était pour notre protection bien sûr, d’ailleurs eux-mêmes ne savaient pas nager. Je me demande toujours d’où vient cette peur bleue de la mer ? Peut-être, comme disent certains, que c’est à cause de la longue traversée venue de l’île de Gorée ? Qui sait. D’un autre point de vue, c’est peut-être lié à la présence de « mèt agwe », divinité qui règne sur la mer dans la croyance vaudou ?
La mer et moi, nous avons une histoire mitigée : entre bonheur et tristesse, désir et folie, émerveillement et désespoir. Comment oublier ces promenades du bord de mer les après-midis, les mensonges que nous fomentions pour nous réfugier dans les profondeurs des eaux du Wharf touristique de Jacmel, l’accueil ardent des plages lors de nos journées entre amies, les poissons boucanés, la bière, le sexe, etc., les voyages d’été en famille sur les petites embarcations à Belle-Anse pour nos vacances ?
Et un jour, que dis-je, dans le silence de cette nuit du 3 mars 2001, il y a eu ce naufrage. Ma mère et ma sœur s’y trouvaient à bord. Leurs corps entrelacés ont été aperçus flottants, voguant comme une frégate abasourdie. Sans vie. Emportés vers l’horizon. On ne les a plus revus. Et depuis, face à la mer, j’ai cette sensation ambivalente. Parfois, j’ai envie de la maudire avec toutes ses vies donneuses de mort. Pourtant, près d’elle, accompagné du silence et de la caresse d’une brise, je sens leur présence. A chaque fois que les vagues viennent se perdre sur le rivage, c’est comme si je recevais un message de leur part que je devais interpréter. Voilà mon paradoxe.
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