Ma francophonie me permet de rester connecté avec l’Afrique
À travers les propos grivois que l’on s’échangeait lors de nos désaccords entre copains au cours de mon enfance en Haïti, s’inscrivent mes premiers liens tissés avec le mot « afriken ». On n’y faisait pas référence aux habitants du berceau de l’humanité. L’Afrique, cette partie du monde où une grande beauté humaine et des richesses naturelles et culturelles sont enchevêtrées avec une misère épouvantable. On appelait « afriken » celui dont la peau était la plus foncée et les cheveux les plus crépus, une « tèt grenn » comme on dit ici. L’Africain dans ce sens, est vu comme ce qui a de plus abject, l’expression caricaturale de la laideur, tel ce monstre à plusieurs têtes qui hantait nos cauchemars. Nos idées d’enfants nous portaient à croire en cette notion futile de « race » chez les humains. Cette pure invention de l’homme pour assouvir sa domination, installer une soi-disant hiérarchie ; la marque éternelle de la division entre les humains. Cela ne rendait pas le sourire aux lèvres à celui qui était traité d’« afriken », souvent l’affaire déborde et finit en bagarre. Ah, ces histoires d’enfants qui nous renvoient à cette époque où on croquait la vie à pleines dents !
Je suis entré en Afrique par la porte de la poésie
Bercé par le doux charme de la poésie, la sublimation fut le mécanisme de défense qui me permettait de canaliser les tensions de mon adolescence. L’énergie pulsionnelle était dirigée vers les études. Ainsi, je prenais un plaisir fou dans les livres. Un jour, un pote m’a prêté une anthologie de poésie, en voyageant entre ses pages, je suis tombé sur des textes d’auteurs Africains, parmi lesquels Bernard Dadié qui remercie son Dieu de l’avoir créé noir. Cette lecture réajusta le regard que je portais sur la question de couleur, celui que j’avais sur ma peau. Ces vers sont d’une telle éloquence et d’une magnanimité révoltante face au racisme séculier que subissent les noirs. Dès lors, j’ai cessé de demander à Dieu pourquoi donc suis-je nègre ? Si la prière du nègre avais moins de charme ? Donc, je me suis mis à le remercier aussi. J’ai cessé de nous voir comme étant les damnés de la terre.
La solidarité Africaine
On parle très peu des rapports solidaires existants entre nous et l’Afrique. Bien que l’Afrique soit assaillie par à peu près les mêmes problèmes que nous, il y a toujours eu un élan de générosité entre la Mère Patrie et nous. Après le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010, une grande partie de l’Afrique s’est mobilisée à nos côtés, ce fut un acte historique et symbolique. La Côte d’Ivoire a envoyé des secouristes et du matériel, la Sierra Leone, le Liberia, le Rwanda, le Tchad, le Bénin ont mobilisé des fonds pour nous venir en aide. Le Sénégal avait même proposé une région aux haïtiens qui voulaient s’installer là-bas.
Elle n’a pas été seulement collective, cette solidarité, un ami congolais m’a transféré personnellement de l’argent. Changer le franc CFA en dollars US pour traverser les océans a été pour moi un geste très touchant qui témoigne d’un fort humanisme. Cet acte fraternel m’a rapproché beaucoup plus de la terre de mes ancêtres. On ne s’est jamais rencontré physiquement, lui et moi ; nous nous sommes rencontrés sur un site internet où je publiais mes poèmes lorsque j’étais adolescent – entre la poésie et moi il y avait une profonde intimité – je ne me rappelle pas trop de quoi parlaient nos poésies, mais nos vers nous ont séduit mutuellement, puis on a gardé contact. Avec lui, j’ai su à quel point le virtuel pouvait créer des liens amicaux soudés. Un jour, peut-être, je lui donnerai une bonne poignée de main fraternelle.
Et il y a eu Mondoblog
Les statistiques me font un peu défaut, mais il est certain que la plateforme Mondoblog est composée majoritairement de blogueurs africains. Leurs articles de blog m’apprennent énormément sur ce qui passe sur le continent. Tiasy me rapporte par exemple qu’à Madagascar, la musique passe à l’auto piratage, ce qui est « devenu une solution pour de nombreux artistes qui n’ont pas les moyens de se payer – ou ne veulent pas se payer – le matraquage dans les médias ». En me faisant visiter son Congo à elle, Maryse Grari me fait penser un peu au Congo déchiré de mon ami Mokuba. La prochaine fois que j’irai sur son blog, je visiterai celui de sa mère. Le billet de Laackater vient d’affermir les soupçons que nous avions sur le rôle de la France dans l’assassinat de Thomas Sankara. Je suis particulièrement de près le web activiste Ousmane, pour lui, être blogueur est une question de partage et de passion plutôt qu’une affaire d’argent. Bref, tous les blogueurs africains contribuent à me donner cette présence, ne serait-ce que virtuelle, en Afrique.
L’Afrique est le point de départ, j’y fais référence non pas pour dire qu’ici n’est pas notre chez nous, mais pour camper l’Afrique comme repère temporel. Tout a commencé là-bas. Nous avons une grande proximité culturelle avec cette terre et le français comme outil linguistique participe énormément à cette connexion. Si le français, jadis, a été imposé par le colonisateur, il devient actuellement un instrument important pour véhiculer la culture française. Nous autres devons être des acteurs conscients de nos rapports communicationnels. Cette langue doit cesser d’être un outil d’aliénation et de clivage social. Elle peut être source de créativité, véhicule de savoir et de savoir-faire. C’est ainsi que je pense qu’une coopération afro-caribéenne serait enrichissante en mutualisant nos ressources et connaissances.
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